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Madeleine Riffaud 2022: sur l’état lamentable du secteur de la santé

Aujourd’hui, des années après son fameux reportage vécu sur l’hôpital, “Les linges de la nuit”, Madeleine Riffaud, résitante, aveugle maintenant, raconte et écrit au directeur de l’APHP:
Glaçant !
« Je suis restée 24 heures sur le même brancard à l’hôpital, sans rien manger »
Âgée de 98 ans, la résistante, journaliste et poète Madeleine Riffaud dont l’histoire présentée en BD sous le titre « Madeleine Résistante » connaît un immense succès a dû se rendre à l’hôpital Lariboisière à Paris pour un examen d’urgence.
Elle y a passé vingt-quatre heures, avant d’être transférée dans une clinique privée. Elle a envoyé à La Croix, son témoignage et expérience sur « l’état lamentable du secteur de la santé».
Extraits
“Début septembre, j’ai dû me rendre aux urgences pour un examen important dû à un Covid long, variant Omicron. Le Samu m’a emmenée à l’hôpital Lariboisière, à midi et demi, le dimanche 4 septembre pour examens. Je me suis retrouvée couchée au milieu de malades qui hurlaient de douleur, de rage, d’abandon, que sais-je. Et les infirmières couraient là-dedans, débordées… Elles distribuaient des « j’arrive ! » et des « ça marche ! ». « J’arrive, j’arrive ! »
Mais personne n’arrivait. Jamais.
Rendez-vous compte : je suis aveugle. Je sentais parfois qu’on emportait mon brancard, que je traversais une cour, peut-être ? Il faisait plus froid, c’est tout ce que je peux dire. Et puis on m’a laissée là, sans aucune affaire, sans moyen de communication avec mes proches (qu’on ne prévenait d’ailleurs pas de l’évolution de la situation). Étais-je dans un couloir ? Dans une salle commune ? Au bout d’un moment, j’ai vraiment cru que je devenais folle.
Ceux qui me connaissent savent que je n’ai jamais demandé de passe-droit de toute ma vie. Mon âge n’y change rien. Mais j’ai remarqué qu’il était presque une circonstance aggravante, et ce pour deux raisons :
1. On pensait que j’étais trop vieille pour que ça vaille la peine de me soigner (réflexe pris lors de l’épidémie de Covid ?).
2. Dès que je parlais, on se disait que j’étais gâteuse et on pensait d’emblée que je racontais n’importe quoi… alors pas la peine de m’écouter.
Pourtant, j’ai une voix. Une voix qui ne s’en est jamais prise au personnel. Ça ne changera pas. Évidemment, j’ai mal, mais je vais continuer à me bagarrer, comme d’habitude.
Moi, j’ai de la chance, j’ai des amis, et des confrères journalistes. Mais tous ces pauvres gens qui n’ont personne, que peuvent-ils faire ? Quand on entre dans le circuit infernal, quand on est aspirés dans le néant des urgences, on ne peut pas en sortir indemne. Parfois même, on n’en sort pas vivant…… L’infirmier libéral qui vient à mon domicile m’a dit que c’était arrivé à un de ses patients, il y a trois semaines.
Si je peux être leur voix – comme Aubrac m’avait demandé d’être l’une de celle de la Résistance – alors je le serai. J’ai encore un peu de force, c’est pour la donner !”