Actualités

Il y a 80ans, le 21 avril 1943, les résistants juifs fondaient l’UJRE

Varsovie – Paris – Avril 1943: du soulèvement du Ghetto à la fondation de l’UJRE

Commémoration, lors du 4e congrès national de l’UJRE, de sa création en 1943 et de l’insurrection du ghetto de Varsovie
  • L’article de Bernard Frederick, rédacteur en chef de la Presse Nouvelle Magazine
  • L’allocution de Claude Sarcey, co-Président de l’UJRE

L’article de Bernard Frederick dans la Presse Nouvelle Magazine n°405 d’Avril 2023:

Le 21 avril 1943, des responsables des zones Sud et Nord de la section juive de la MOI, Main-d’Oeuvre Immigrée, se réunissent clandestinement à Paris. Ils décident de créer l’Union des juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE).

Elle rassemble des organisations clandestines des deux zones: Secours populaire, Solidarité, l’Union des femmes juives, l’Union de la jeunesse juive (UJJ), des groupes de combat juifs et des groupes de la Commission intersyndicale juive.

Deux jours avant cette réunion, l’Organisation Juive de Combat (OJC) qui regroupe les organisations de gauche du Ghetto de Varsovie lance une insurrection menée par quelques centaines de jeunes juifs, garçons et filles, mal armés, face à des milliers d’Allemands et leurs supplétifs ukrainiens et baltes suréquipés.

«La révolte du Ghetto de Varsovie, constituant un acte éminemment conscient et réfléchi, conçu sous les aspects de la plus haute moralité humaine, n’était qu’une conséquence logique et inéluctable de l’attitude envers l’ennemi pendant l’occupation, le couronnement de l’esprit de résistance qui animait la population du Ghetto et, en même temps, un memento déchirant pour l’humanité tout entière», souligne Mieczyslaw Warm dans Le Monde Juif 1973/1 (N° 69) Le 26 avril 1943, Mordechaï Anielewicz, chef de la révolte du ghetto de Varsovie, signait sa dernière lettre avant de se donner la mort. À l’instar des combattants de Massada, ces Juifs avaient préféré mourir les armes à la main plutôt que d’être déportés vers les camps nazis.

« Ce qui est arrivé a dépassé nos rêves les plus insensés. Deux fois les Allemands se sont enfuis de notre ghetto. Un de nos pelotons a tenu quarante minutes et l’autre six heures… Je n’ai pas de mots pour vous décrire les conditions de vie des Juifs. Seul un petit nombre survivra ; les autres périront tôt ou tard. Les dés en sont jetés. Dans les caves où se cachent nos camarades, on ne peut, faute d’aération, allumer aucune bougie… J’ai l’impression que de grandes choses se produisent et ce que nous avons osé faire est d’une grande et énorme importance… j’ai été le témoin du combat héroïque des juifs du Ghetto… L’essentiel est que le rêve de ma vie est devenu vrai ; j’ai assez vécu pour voir la résistance juive dans le ghetto dans toute sa grandeur et toute sa gloire.» (Ghetto de Varsovie, 26 avril 1943)

L’écho du soulèvement des Juifs de Varsovie fut immense. L’année 1943 avait commencé avec la capitulation allemande à Stalingrad. L’espoir changeait de camp. Les groupes communistes juifs, en France, écrit Alex Gromb, « comprirent et exaltèrent immédiatement la portée de l’insurrection du ghetto de Varsovie, la plus grande lutte de notre peuple martyr depuis le soulèvement de Bar Kochba (…), une nouvelle étape de la lutte d’autodéfense des masses populaires juives dans tous les pays occupés… » [1].

Après la guerre, les commémorations de l’insurrection du Ghetto de Varsovie prennent un tour et un sens différents selon les courants qui traversent la «communauté ». [2] Celles de l’UJRE, proche des communistes, connaissent une grande audience (elles ont longtemps eu lieu dans la grande salle de la Mutualité à Paris). Elles sont l’occasion, au-delà de l’hommage à la «gloire immortelle» des héros du Ghetto, de prises de positions politiques liées à l’actualité, par exemple au moment du réarmement allemand et de l’éphémère projet de Communauté Européenne de Défense (CED). Les plus anciens conservent le souvenir des discours enflammés du philosophe Jankélévitch, alors président de l’UJRE. Ces soirées, puis après-midi, commémoratives auront, cependant, jusqu’à aujourd’hui, en dépit d’aléas, parfois fort tristes et consternants, un fil conducteur dont les deux termes sont : antiracisme et paix. Expression indubitable de la continuité de l’esprit de la Résistance.

[1] La Brève histoire de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, éditée par l’UJRE le 22/06/2014 regroupe 3 articles parus dans les PNM nos.306 (05/2013), 307 (06/2013), 308 (09/2013).

[2] Simon Perego, Pleurons-les : Les Juifs de Paris et la commémoration de la Shoah (1944-1967), Éd. Champ Vallon, 2020.

L’allocution de Claude Sarcey, co-Président de l’UJRE

Cette allocution, préparée par Jacques Lewkowicz, co-Président de l’UJRE et prononcée le 19 Avril 2023 lors de la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie, place Marek Edelman, rappelle le contexte fondateur de l’UJRE.

A propos des évènements de Varsovie en avril et mai 1943, on dispose d’un vocabulaire varié : Soulèvement , révolte, insurrection, Massada du XXème siècle. Cette variabilité du vocabulaire signale un problème de signification de l’évènement.
Pour l’éclaircir, je rappellerai ce qu’en disait, en substance, l’un des principaux dirigeants de l’UJRE, ancien résistant et déporté à Aushwitz, Marceau Vilner dans l’immédiat après-guerre :
C’était une action ni isolée, ni de désespoir; car:
• D’une part, elle a mûri alors que la défaite des nazis à Stalingrad détruisait la légende de leur toute puissance,
• D’autre part, elle a été rendue possible par l’aide insuffisante mais réelle de la résistance polonaise et des partisans juifs de l’extérieur du ghetto,
Non! Les 40 000 derniers survivants du ghetto n’ont pas cherché une mort héroïque mais sans perspective.
On ne combat que pour la vie, seul stimulant de la lutte. Les combattants de Varsovie ont engagé un assaut pour lutter avec d’autres contre le fascisme hitlérien.
C’était un combat acharné, difficile mais pas un affrontement désespéré. C’était au contraire une des plus belles pages de la lutte des peuples contre la barbarie hitlérienne.
Précisément, deux jours après l’attaque antinazie de Varsovie avait lieu en France une réunion clandestine pour créer l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide, regroupement de différentes organisations issues de la section juive de la Main d’Oeuvre Immigrée du PCF. Cette UJRE se donnait pour tâche de conduire par tous les moyens (idéologiques et militaires) la lutte des Juifs contre les envahisseurs nazis. Parmi les premières tâches accomplies devait justement figurer l’exaltation de la lutte des juifs de Varsovie grâce à des journaux, en fait de simples feuilles recto-verso ronéotées, que les militants glissaient sous les portes des familles juives au péril de leur vie.
Par exemple, dans un tract en yiddish, daté de mai 1943, on peut lire:
« Le soulèvement des Juifs de Varsovie s’inscrit dans les traditions héroïques de notre peuple, il est marqué du sceau de l’esprit des Maccabées, de Bar-Kochba, ce même esprit qui anime des centaines de milliers de Juifs dans les rangs de l’armée rouge et des groupes de partisans dans les pays sous le joug hitlérien. Les Juifs de Varsovie se sont placés à la hauteur des communards parisiens et leur combat couronnera l’histoire de notre peuple, qui vit et vivra.»
C’est cette immense envie de vivre qui anime, encore aujourd’hui, l’existence de l’UJRE.