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  • Hommage à Paulette Sarcey: Allocution de Claudie Bassi Lederman – 3 Novembre 2021

    Madame Laurence Patrice, adjointe à la Maire de Paris, chargée de la mémoire et du monde combattant,

    Monsieur Eric Pliez, maire du 20e arrondissement de Paris,

    Mesdames et Messieurs les élus,

    Chers amis,

    Chers Michou et Claude,

    Chers petits enfants et arrière-petits enfants que Paulette aimait tant et dont elle était si fière. Nous vous avons vu naître pour certains et nous vous avons tous suivis au cours des années, sur les photos qu’elle était si heureuse de nous montrer.

    J’interviens ce matin pour parler de la grande dame qui nous aimait, que nous aimions, que nous aimons et avec qui nous avons tellement ri et tant appris.

    J’interviens au nom de l’UJRE et de MRJ-MOI, ces organisations auxquelles Paulette était viscéralement attachée:

    • l’UJRE qui a uni, durant l’Occupation, toutes les organisations résistantes de la section juive de la MOI parmi lesquelles l’Union des Jeunes Communistes Juifs dont Paulette a fait partie avec ses amis dès 1940,

    • et MRJ-MOI, créée en 2005 pour faire connaître, avec son musée virtuel, une histoire occultée, celle de la participation des juifs immigrés à la Libération de la France, celle de l’engagement communiste dont la spécificité juive est restée longtemps ignorée. Paulette fut l’une des premières à parrainer notre association et elle attendait avec une très grande impatience la mise en ligne de notre musée.

    Nous savons tous quelle héroïque résistante elle a été mais, ne pouvant parler d’elle aussi longtemps que nous l’aurions désiré, nous nous sommes limités à quelques moments partagés avec elle, souvenirs précieux pour nous:

    Paulette et le 14 rue de Paradis, “le 14”, comme nous l’appelons.

    En ce lieu symbolique de son histoire, Paulette, membre des bureaux de l’UJRE et de MRJ-MOI arrivait toujours aux réunions pleine d’énergie, souriante et très élégante. Elle a toujours été très élégante et vers la fin de sa vie, alors qu’elle ne sortait plus de chez elle, elle soignait sa mise, même en robe de chambre, et faisait venir le coiffeur à son domicile.

    En attendant le début des réunions, Paulette parlait avec chacun mais s’impatientait : tant de «tâches essentielles» nous attendaient. Il n’y a pas si longtemps, elle présidait une AG de l’UJRE avec sérieux et fermeté mais toujours avec humour, sachant souvent aplanir les conflits, ne taisant jamais les divergences, les heurts, ne cédant jamais sur ses valeurs et convictions.

    Quand elle ne se déplaça plus, nous nous sommes réunis chez elle où Victoria, la “commandante” comme elle l’appelait, sa nounou –dame de compagnie moldave–, nous préparait systématiquement d’énormes piles de crêpes. Depuis le départ de Paulette, “le 14” n’est plus le même pour nombre d’entre nous.

    Paulette et la préparation du diaporama du 70e anniversaire de l’UJRE en 2013.

    Paulette se déplaçait à l’époque sans problème mais il nous était plus facile –nous étions nombreux– de travailler plusieurs fois par semaine, des semaines durant sur la grande table de sa cuisine où nous étalions des centaines de photos que Paulette commentait sans hésitation –beaucoup d’entre elles lui appartenaient. Aujourd’hui, il nous revient en mémoire, parmi beaucoup d’autres témoignages d’une vie : Paulette, à 7 ans, en maillot de bain, à l’île de Ré, dans une colonie du Secours Rouge. Paulette, à 13 ans, à Berck-Plage, avec Roger Trugnan et Germaine, la petite sœur de ce dernier. Paulette, à son arrivée à Auschwitz (carte d’immatriculation).

    Elle nous a longuement raconté la Résistance dans le camp d’extermination. Paulette, à la Libération, dans le film de l’UJRE, “Nous continuons“. Ou encore, Paulette, travailleuse sociale à la CCE, la Commission Centrale de l’Enfance, pour “faire rire” les enfants de déportés et fusillés.

    Toute l’histoire des nôtres, les juifs communistes immigrés, a défilé dans cette cuisine si chaleureuse.

    Le tournage de notre film “Nous étions des combattants.

    Les souvenirs de Paulette étaient d’une grande précision, elle avait une excellente mémoire. Et ceux qui l’ont vue dans “Cité de la Muette”, le premier film sur le camp de Drancy (souvent présenté par Tanguy Peron) et tourné par Jean-Patrick Lebel en 1986 ainsi que dans notre film réalisé 30 ans plus tard par Pierre Chassagnieux et Pauline Richard, ne peuvent aucunement dater les témoignages de Paulette ni penser que tant d’années séparent ces récits.

    Nous avons passé de longs moments avec Paulette, l’interviewant, l’écoutant. Elle nous faisait si bien vivre, toujours avec sobriété et modestie, les combats clandestins, la déportation, les tragédies quotidiennes, la Résistance dans le camp et la nécessité de vivre pour témoigner, vivre pour témoigner, toujours la nécessité de la transmission. Pour elle, transmettre la connaissance, faire vivre les mémoires, commémorer le passé, servait à écrire l’avenir. Un avenir qui l’inquiétait.

    Notre film a obtenu un succès bien mérité auprès de publics très divers, mais ce qui réjouissait Paulette, c’étaient les questions des lycéens sur l’engagement, sur le sens de l’engagement à notre époque. Ces réactions lui donnaient confiance en la jeunesse.

    Travailler avec elle, militer avec elle nous a tous fait progresser humainement, intellectuellement, et sur le plan politique. Intelligence, sensibilité, tendresse pour ses amis, sens du collectif, telle était Paulette. Et le rire, celui de sa jeunesse, même à Auschwitz, ce rire qu’elle nous a transmis et que nous entendons encore.

    La légion d’honneur de Robert Endewelt.

    Notre association a mené un très long combat, plus de deux ans, avec Julien Lauprêtre, pour l’attribution de la Légion d’Honneur à Robert. Cette Légion d’Honneur, Robert tenait absolument à ce que sa grande amie Paulette Sarcey la lui épingle. “Je tenais à ce que ce soit elle qui me remette cet insigne. Je la considère en effet comme une des grandes figures de notre mouvement de Résistance et une solide amitié nous lie par ce passé commun“.

    Paulette, ne pouvant se déplacer, la cérémonie a eu lieu chez elle en présence de quelques-uns d’entre nous. Ce moment, ô combien émouvant, a été filmé, et le jour de la fête, en l’honneur de Robert, nous l’avons projeté au “14”.

    Quelques moments plus intimes.

    Nous ne pouvons taire les nombreuses séances de ragots au cours desquelles nous avons tant ri. Chez Paulette ou le soir au téléphone, la séance commençait par ” allez, maintenant, on ragote”. Et tout y passait, quelquefois, à la limite de la décence mais jamais méchant, toujours si drôle et ça faisait tant de bien.

    Nous nous rappelons aussi les quelques jours qu’elle avait passés un été dans une institution du XVIe arrondissement. Michou et Claude, vous n’aviez pas voulu la laisser seule à Paris. “Ces bonnes femmes“, nous a-t-elle dit, ne lisaient que le Figaro, je ne pouvais parler avec personne de l’Huma et, surtout, c’était impossible de rire avec elles. Alors, je suis rentrée chez moi“. Les descriptions hilarantes de son séjour nous amusent encore.

    Nous trahirions notre grande amie si, avant de nous séparer, nous n’évoquions pas ses grands amours, Robert et Max.

    Robert, son petit frère, son Robigniou qu’elle avait caché durant l’Occupation dans la Sarthe, avec Lili, la petite sœur d’Henri Krasucki. Robert qui ressemblait tant physiquement à leur père. C’est flagrant sur les photos et elle en était heureuse. Robert qui a beaucoup aidé nos associations.

    Et Max, je cite Paulette: “Max, le frère, l’ami, le mari, l’amant, le père, le grand-père si merveilleux…”. Et nous ajoutons aussi : un très grand résistant.

    Pour conclure cette brève évocation, nous désirons vous citer trois extraits des très nombreux témoignages que nous avons reçus lorsque nous avons annoncé la mort de Paulette.

    Malgré les années, elle continuait à être à mes yeux, à sa manière unique, la même jeune résistante de ce groupe des ” jeunes Juifs de la MOI” que nous admirons tous“;

    Je suis très, très touchée par sa disparition. C’était… un Mensh, pas seulement debout mais droite“.;

    Nous l’admirions pour ce qu’elle avait fait. Nous l’aimions pour ce qu’elle était“.

  • Hommage à Paulette Sarcey: allocution de Laurence Patrice – 3 Novembre 2021

    Monsieur le Maire du 20e arrondissement, cher Eric Pliez,

    Madame la Présidente de MRJ-MOI, chère Claudie Bassi-Lederman,

    Mesdames et Messieurs les Présidentes et présidents d’association,

    Mesdames et Messieurs,

    Chers amis,

    Chers camarades,

    Chère Michèle, cher Claude, au moment d’évoquer le souvenir de votre mère, je veux vous adresser, ainsi qu’à vos proches, les pensées chaleureuses de la Maire de Paris, Anne Hidalgo que je représente ici.

    Nous sommes réunis, si nombreux ce matin. Votre famille et vos amis, les camarades et les proches de votre mère. Et je remercie infiniment Eric Pliez, de nous accueillir dans sa mairie de 20e arrondissement.

    Je suis particulièrement fière d’avoir proposé au vote du Conseil de Paris la délibération rendant hommage à Paulette Sarcey, et je veux naturellement saluer mon amie Catherine Vieu-Charier qui avait initié ce projet de plaque. Cette délibération a été votée à l’unanimité des Conseillers de Paris comme des élus du 20e arrondissement au préalable, et dans cette formulation que vous avez choisie chère Michèle, cher Claude : Paulette Sarcey, résistante juive, FTP-MOI, déportée à Auschwitz, chevalier de la Légion d’Honneur.

    Des mots qui seront désormais gravés, rue Pelleport, sur la façade de l’immeuble où Paulette vécut dans sa jeunesse, réveillant certainement le souvenir des plus anciens habitants du quartier, et s’offrant surtout à la curiosité des plus récents, interpellant je l’espère les passantes et des passants. Notre rendez-vous ici ce matin est d’abord un temps d’hommage que nous avons attendu du fait de la situation sanitaire, et qui nous fait à toutes et tous chaud au cœur.

    C’est aussi l’occasion tous ensemble d’exprimer notre immense reconnaissance à Paulette, et je dirais aussi, notre gratitude, et à travers nous, celles des Parisiennes et des Parisiens, pour son action de femme résistante, pour son parcours de militante, cette vie d’engagement qui raconte le cheminement d’une jeune fille confrontée à la déroute de l’humanité de son siècle, et qui de fait, a très tôt décidé de prendre ses responsabilités de citoyenne.

    Paula, Paulette, venait d’une famille ouvrière polonaise. Froïm, son père, était un ouvrier du cuir, militant syndicaliste et communiste, et Jenta (prononcer Yenta) sa maman travaillait elle dans la confection ; ils étaient venus confiants s’installer dans ce Paris qui a accueilli tant de familles d’Europe de l’Est. Des femmes, des hommes, des enfants qui ont dû ainsi trouver l’énergie de s’exiler, le courage de s’improviser un avenir, en fuyant les pogroms, l’antisémitisme de leur pays d’origine. On sait l’espoir que représentait pour ces familles notre ville, combien elles et ils croyaient à tous les possibles d’une vie nouvelle, en sécurité, dans la capitale des lumières, celle des Droits de l’Homme.

    Comme l’a dit si bien Simone Veil, je cite : «des immigrés qui avaient confiance en la France comme en leur terre d’asile».

    Et la jeune Paulette y a cru bien-sûr, dans le tourbillon d’une jeunesse joyeuse, elle fleurit dans le quartier de Belleville. Le foulard rouge noué autour du cou, elle participe aux fêtes de la Bellevilloise, et vend avec d’autres le dimanche au métro Belleville le journal Mon Camarade, à côté de son père qui lui vendait la Naïe Presse, concoctée au 14 rue de Paradis, dans le 10e qui m’est cher. Un lieu mythique qui reste aujourd’hui encore grâce à beaucoup d’entre vous ici, le cœur toujours battant de la mémoire des MOI et de l’UJRE… La jeune fille, encore une gamine, n’est aussi pas en reste pour aller manifester, pour s’engager, et comme tous les jeunes progressistes, elle est bien entendu un soutien, enthousiaste et solidaire de l’Espagne républicaine.

    Pour autant en Europe, elle sent les vents sournois s’insinuer, puis de plus en plus vifs et glacials ils se rapprochent, vents de haine, de violences antisémites des fascismes qui essaiment leur fiel mortel de par l’Europe.

    L’espoir de la République espagnole sombre dans la guerre civile sous les coups des franquistes, l’Italie se donne à Mussolini, et la République de Weimar se suicide en appelant Adolf Hitler à la chancellerie scellant ainsi le destin mortifère de l’Europe pour longtemps, ouvrant la voie au pire génocide de tous les temps.

    Pourtant, quand la France tombe à son tour, que surviennent la stupeur de la défaite et l’abomination de la collaboration, Paulette ne perd ni son aplomb ni ses convictions, elle ne reconnaît pas le pouvoir de Vichy. Et elle refuse, comme quelques-uns, cela a été dit, de porter l’étoile jaune. Imaginons la force de caractère, le courage de cette fille de tout juste 16 ans qui entre alors dans la Résistance avec les autres jeunes communistes de la MOI, avec Henri Krasucki, avec Robert Endewelt, avec Roger Trugnan… Oui elle a 16 ans seulement quand sous le nom de « Martine », elle incarne un des visages d’une résistance déterminée.

    Et à cette étape j’en profite pour redire combien les femmes, quels que soient les courants de la Résistance furent nombreuses et essentielles à s’y engager, mais aussi combien beaucoup, dès la libération, furent reléguées dans l’ombre.

    Cécile Rol Tanguy l’a bien souvent rappelé dans ses itw, ses témoignages, elle considérait que beaucoup de ses camarades femmes résistantes avaient été mal traitées et bien peu honorées dans la France d’après-guerre.

    Revenons donc à cette grande résistante que fut Paulette Sarcey. Vichy n’a de cesse bien-sûr de traquer ces jeunes communistes rebelles pour les briser. Ces autorités vendues aux nazis organisent alors des filatures minutieuses, espionnent les mouvements des jeunes gens. Et la police de Vichy arrive à ses fins mettant la main sur le collectif. Paulette est arrêtée le 23 mars 1943.

    Interrogée, torturée, elle est conduite le 18 mai à Drancy avant d’être déportée à Auschwitz par le convoi 55 du 23 juin 1943.

    Dans ces conditions si terribles, si extrêmes, après Drancy, après le supplice du convoi dans les wagons à bestiaux, à Auschwitz, condamnée à la faim, au froid, aux violences, aux maladies, Paulette Sarcey compte parmi les « chanceuses » mot horrible s’il en est, mais qui dit pourtant le sort de celles qui ont échappé au triage à l’arrivée du camps, à la mort immédiate dans les chambres à gaz.

    Là, Paulette a encore résisté, rejoignant la résistance intérieure du camp, aux côtés notamment de Marie-Claude Vaillant. Puis ce fut encore l’errance sur les routes terrifiantes et glaciales de Pologne et d’Allemagne, après l’évacuation du camp. Paulette survivra aux Marches de la Mort avant d’être libérée le 2 mai 1945.

    Cette histoire, elle la raconte dans Paula, survivre obstinément.

    «À mon retour d’Auschwitz, le 22 mai 1945, j’ai eu la chance inouïe de retrouver à Paris ma famille miraculeusement épargnée. Je n’ai ni oublié, ni pardonné et j’ai tenu parole: j’avais promis à mes camarades de déportation de tout raconter. Aujourd’hui, souvent inquiète pour l’avenir, je suis heureuse que mon histoire puisse être lue par tous.»

    C’est ainsi qu’elle introduit la publication de son témoignage.

    Effectivement le 22 mai, elle est de retour à Paris. Ils ne sont que six survivants sur les 57 personnes qui ont été arrêtées avec elle.

    Sans répit, elle va d’emblée retrouver, rue Julien Lacroix, les Jeunesses communistes et elle intègre la section des jeunes de l’UJRE, comme tu nous l’as dit, chère Claudie.

    Reprenant à la fois ses activités militantes et sa vie de camarade communiste, Paulette veut aussi honorer tout de suite ce serment fait à ses camarades de déportation «de tout raconter».

    Alors Paulette s’investit sans attendre et avec force dans les organisations d’anciens résistants et déportés, elle multiplie les témoignages et les entretiens. Il fallait mettre des mots sur l’innommable, cet univers concentrationnaire ou, comme le disait Charlotte Delbo, «La lumière de mort décomposait la vie»

    Elle consacre le reste de son existence, sans relâche, à témoigner de la vie, de la mort dans les camps, de la Résistance et des engagements de sa jeunesse.

    Dire, transmettre, rappeler à toutes et tous, faire savoir, faire connaître aux plus jeunes, l’histoire de la Shoah et celle du combat contre tous les fascismes.

    «Il faut rester ensemble pour être forts. Pour survivre. Pour que quelqu’un sorte raconter

    Disait-elle

    Nous découvrons à travers Paulette Sarcey une héroïne humble : elle a toujours associé ses soeurs et frères d’armes à son engagement. Car plus que les faits, plus que l’histoire, Paulette a voulu faire entendre et transmettre des valeurs :

    • L’importance de l’éducation populaire, et du partage des savoirs pour être plus forts, plus éclairés,

    • La nécessité absolue de la solidarité, de la fraternité des peuples et la vigilance nécessaire pour que l’union des coeurs et des volontés servent toujours le bien commun.

    La République l’a ainsi honorée de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de la Croix de guerre. Elle qui a toujours défendu justement les valeurs de cette République.

    Un idéal de liberté d’égalité de fraternité réel.

    Aussi par-delà notre hommage aujourd’hui, par-delà cette plaque qui garde trace et mémoire de son parcours, nous devons d’abord à Paulette de continuer, de prendre le relai bien-sûr de la transmission, mais aussi de son courage et de son audace au combat…

    Et chers amis, on le voit, on l’entend, il y a bien matière à combattre aujourd’hui.

    On a déjà depuis plusieurs années vu ressurgir des actes, des insultes antisémites, des dégradations de sépultures.

    Puis ce sont des hommes et des femmes, en France, au 21e siècle qui ont été torturés et assassinés parce qu’ils ou elles étaient juifs en France… je ne redirai pas la litanie de ces victimes, je rappellerai juste aujourd’hui le souvenir de Mireille Knoll, alors que se tient le procès de ses assassins en ce moment, eux qui étaient les voisins de cette femme dont la douceur, la générosité tranquille était bien connu depuis des décennies dans son quartier du 11e non loin d’ici.

    Combien de morts encore à venir dans ce pays ? La France où en 2021, on s’autorise sans complexe à sonder les gens pour savoir ce qu’ils pensent des juifs…

    Et où, ainsi, on donne écho à l’expression de celles et ceux qui pensent qu’il y a trop de juifs influents !

    Un glissement terrifiant ici de la banalisation dans les médias d’obscurs relents antisémites et négationnistes, où on laisse antenne ouverte à un homme condamné pour racisme et antisémitisme, un homme qui se vomit lui-même, en vomissant sur la repentance de la France, au nom d’une prétendue grandeur il nie le rôle de Vichy, insultant aussi bien les victimes de la Shoah, la Résistance constituée justement de tant d’hommes et femmes d’origine étrangère, unis pour défendre les valeurs démocratiques et républicaines . Et comme si cela ne suffisait pas, insultant les familles et victimes du terrorisme islamiste aujourd’hui… Ces propos de haine, cette volonté d’opposer les habitants de notre pays entre eux, de stigmatiser les unes et les autres du fait de leur religion, origine, genre et orientation sexuelle, n’est rien d’autre que le noyau d’une idéologie fasciste… laisser dire, laisser banaliser ces mots et ces idées c’est faire insulte à la mémoire de celles et ceux qui sont morts au combat contre tous les fascismes, morts dans les camps nazis, et c’est faire insulte au message, au travail de tous les grands témoins, comme le fut Paulette.

    Chers amis,

    Oui Paulette Sarcey fut de ces femmes et de ces hommes qui se lèvent quand tout bascule, quand la République, la liberté sont en danger car elles et ils croyaient possible et essentiel d’oeuvrer pour un monde meilleur, un monde de justice sociale, de paix et de fraternité.

    Sa vie entière en est la preuve, Paulette a agi et témoigné pour nous montrer, en toute humilité, mais avec constance et détermination, qu’il était toujours possible d’inverser le cours de l’histoire…

    Il nous revient maintenant de ne pas la décevoir

    Il nous revient dans ces semaines même, l’impérieux devoir, d’être dignes ensemble de cette leçon de courage, de générosité et de dignité que Paulette nous a laissé.

    Je vous remercie.

  • Maurice Cling

    MauriceCling
    Maurice Cling

    Maurice Cling s’est éteint lundi 23 novembre 2020 au matin. Lui qui aimait tant les mots et la précision n’aurait pas aimé qu’on euphémise la mort et nous aurait repris sur le terme si on lui avait fait lire ce faire-part pour approbation. Mais Maurice était lumineux. Il était notre phare. Son regard toujours tourné vers l’avenir puisait dans le passé des ressources inestimables, d’analyse et de réflexion sans cesse réactivées.

    Depuis 75 ans et son retour de déportation, il considérait que chaque jour supplémentaire en vie était une victoire sur les nazis qui avaient massacré notre famille et auxquels il avait miraculeusement survécu. Arrêté dans sa classe le jour de son 15e anniversaire en mai 1944, c’est avec son frère aîné, Willy, âgé d’à peine 17 ans, sa mère, Simone, 41 ans et son père, Jacques, 50 ans, immigré de longue date, d’origine roumaine, naturalisé français, ancien combattant volontaire de la Grande Guerre, plusieurs fois décoré, qu’il est interné à Drancy puis déporté le 20 mai 1944 par le convoi n°74.

    Projeté dans un monde dans lequel il ne comprenait rien, où les valeurs étaient l’exact opposé de celles dans lesquelles il avait grandi, Babel de langues incompréhensibles, Maurice Cling a fait des mots une de ses raisons d’être, devenant linguiste après avoir fait des études de langues française et anglaise. Actif durant des décennies à l’Amicale d’Auschwitz, puis à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes) dont il deviendra président-délégué, il est resté jusqu’à très récemment membre du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de la Déportation. En 1999, le livre qu’il a écrit pour témoigner de son expérience concentrationnaire commence par ces mots :

    « Le sentiment du devoir impérieux de transmettre ce passé capital s’est imposé à moi avec de plus en plus de force au fil des années. (…) Je suis probablement le seul survivant, un demi-siècle plus tard, à pouvoir témoigner, par exemple, de mon frère Willy, d’Éva, des « politiques » français d’Auschwitz et de Dachau que j’ai connus. Je tiens leur mémoire entre mes mains et s’ils revivent ici, je n’aurai pas été sauvé en vain. »

    Maurice a commencé à témoigner au début des années soixante et n’a pas cessé depuis qu’il a pris sa retraite à la fin des années quatre-vingt. Malgré la maladie de Parkinson qui l’affaiblissait de mois en mois, son énergie et sa capacité d’indignation sont restées intactes. Avec la conviction chevillée au corps que sa vie n’avait de sens que s’il continuait à militer pour la mémoire de déportation, il a continué à témoigner, l’an dernier en langue anglaise pour la BBC et peu de temps avant le confinement dans un établissement scolaire voisin des Invalides. De son expérience, Maurice a retiré une volonté farouche de comprendre, s’inscrivant en faux contre ceux qui tentent d’évacuer Auschwitz hors de l’Histoire, hors des luttes séculaires et de la sphère de l’intelligibilité, en évitant par là même de s’interroger sur la complexité des enchaînements historiques et sur l’ensemble des responsabilités.

    En 2016, invité avec Paulette Sarcey par l’Institut d’Histoire Sociale Métallurgie, quand il est questionné sur ce qui motive son militantisme et les raisons pour lesquelles il continue à témoigner aujourd’hui, il répond : « On parle beaucoup d’Auschwitz, parfois plus que de la Résistance, mais on ne parle pas des causes de la Shoah (« catastrophe » en hébreu). Après la Première Guerre mondiale, on a parlé de la «der des der », puis après la deuxième, on a dit « plus jamais ça ! », mais on ne parle pas des causes de ces guerres. Cette question est pourtant capitale si l’on veut éviter qu’elles se reproduisent. Si l’on ne parle pas de Munich et du Front Populaire, on ne peut pas comprendre ce qui s’est passé à Vichy. Or les mêmes causes produisant les mêmes effets, cela risque de se reproduire mais en pire.

    Les nazis ont en effet été arrêtés dans leur élan par la coalition anti-fasciste mais s’ils ne l’avaient pas été, il y aurait eu des millions de morts supplémentaires. Avec les évolutions technologiques, on imagine donc facilement ce que pourraient faire les « héritiers » des nazis. (…)

    Imaginer Maurice éteint ? Peut-on finalement choisir idée plus saugrenue ?

    Willy, Jean-Pierre et Daniel Cling

    Publié dans le n°381 de la Presse Nouvelle Magazine