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Hommage à Paulette Sarcey: Allocution de Claude Sarcey – 3 Novembre 2021

Chers amis,

Avant de dire quelques mots en notre nom, à ma sœur et moi, nous voudrions tout d’abord, vous remercier chaleureusement, vous toutes et tous, connaissances, amis et camarades très souvent de longue date et qui comptaient tant pour maman, d’être présents aujourd’hui.

Nous tenons également à adresser nos remerciements à la mairie de Paris et tout particulièrement à Catherine (Vieu-Charier) qui lorsqu’elle était encore adjointe communiste à la mairie de Paris en charge de la mémoire et du monde combattant, a initié le projet de plaque commémorative qui nous réunit aujourd’hui, à Laurence (Patrice) qui a succédé à Catherine et qui l’a finalisé et bien entendu à Christine (Blaise de Candido) et à Isabelle (Bellanger) qui ont géré les aspects opérationnels à la perfection, et ce malgré nombre de difficultés rencontrées. Enfin, un grand merci à Monsieur Pliez, maire du 20eme arrondissement, qui nous accueille dans cette très belle salle des mariages.

Maman nous a quitté il y a maintenant un an et demi, quasiment jour pour jour. En mai 2020 nous étions entrés de plein pied dans la crise sanitaire, ce qui nous a contraint à organiser des obsèques en très petit comité.

Nous avons donc souhaité profiter de cette commémoration pour réunir tous les amis, tous les camarades ou tout bonnement toutes les personnes qui ont connu, côtoyé ou simplement rencontré maman et qui souhaitaient lui rendre hommage.

On peut en comprendre les raisons.

Cette femme, eh oui notre maman, a une histoire quelque peu unique en son genre.

Je ne vais pas ici retracer toute sa vie, ça serait bien trop long, mais quand même un petit peu:

Ses parents sont juifs polonais. Son papa syndicaliste et communiste a déjà connu la prison. Les pogroms et l’antisémitisme d’état (qui n’a hélas pas beaucoup évolué) les conduisent à quitter la Pologne en 1923 pour venir s’installer à Paris ou maman nait un an plus tard.

C’est dans le quartier de Belleville qu’elle va grandir et commencer à fréquenter le patronage juif issu du mouvement communiste juif, la MOI. C’est dans ce patronage que toute sa culture avec un grand C va se forger : apprentissage du Yiddish, éducation politique, foulard rouge, mixité, laïcité et j’en passe.

En 1939 au début de la guerre, maman a 15 ans mais est déjà doté d’une connaissance importante de ce qui se passe en Allemagne et en Europe.

En 1940 elle s’engage de façon effective dans la résistance avec les FTP MOI à 16 ans au côté, entre autres, d’Henri Krasucki.

Après 3 ans et demi d’activité de résistance active, elle, ainsi que la quasi-totalité de son réseau, est arrêtée par les brigades spéciales de la police française le 23 mars 1943.

Emmenée à la préfecture, elle y restera quelques jours et sera tabassée à chaque interrogatoire. Après un long séjour à l’hôpital Rothschild et avoir subi une fausse opération par un médecin compréhensif dans le but de gagner du temps, elle sera transférée au camp de Drancy le 18 mai 1943.

C’est le 23 juin 1943 que le véritable enfer commence. Après deux jours passés dans des wagons plombés (convoi 55), elle arrive à Auschwitz-Birkenau.

Je ne vais pas ici décrire l’indescriptible ou narrer l’inénarrable. Juste 3 chiffres: Auschwitz c’est 1 300 000 déportés, 1 100 000 morts dont près de 1 million de juifs.

Maman avec quelques-unes de ses amies a eu la chance de rentrer. Elle n’a jamais cessé de nous dire que ce qui les sauvé, c’était l’entraide, la solidarité, la résistance.

Après la marche de la mort et 700 kms faits à pied, maman arrive à Paris le 22 mai 1945, soit quasiment 2 ans jours pour jours après avoir été déportée.

De retour ce sont les retrouvailles avec la famille, les copains et tout de suite l’engagement: Un mois après son retour, c’est le départ dans les colonies de l’UJRE pour s’occuper des enfants.

Toute sa vie durant, maman n’a eu de cesse que de respecter la parole qu’elle et ses camarades avait exprimées: si nous rentrons il nous faudra raconter pour que tout le monde sache.

En 1950 lorsqu’elle revient des États-Unis ou elle a épousé mon père, lui-même engagé dans les FTP dès l’âge de 16 ans, et donné naissance à ma grande sœur, elle s’investit au sein de l’UJRE pour aider de toutes les façons possibles celles et ceux qui comme elle, ont été victimes de la Shoah.

En parallèle, elle rejoint au moment de sa création, l’Amicale des Anciens Déportés Juifs de France.

Elle témoignera en RDA en 1963 au procès de Hans Globke, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et condamné à la prison à perpétuité.

En 1977 elle participe au procès de Francfort qui vient en complément du 1ER procès de Francfort, appelé aussi procès d’Auschwitz, qui s’est tenu en 1963 et qui a abouti à la condamnation de près d’une vingtaine de nazis opérant sur le camp même d’Auschwitz.

Jusqu’à son dernier souffle elle n’aura eu de cesse qu’à transmettre, transmettre et encore transmettre …

Au siens, en leur parlant, leur racontant, en les amenant même à Auschwitz quand ce fut possible.

Aux collégiens et lycéens en allant écouter, raconter et alerter pour que plus jamais ça.

Aux étudiants, aux chercheurs, aux historiens en racontant la résistance juive communiste, en rappelant sans cesse, malgré ce qui a tendance à être encore dit par certains en ce moment, que les arrestations des juifs, communises ou non, français ou immigrés étaient bien le fait de la police française, et bien sûr en décrivant la réalité de l’horreur des camps…

A qui voudrait bien l’entendre et la lire en participant activement a des reportages, des films, des ouvrages jusqu’à écrire en toute modestie sa propre histoire.

Enfin, je voudrais vous dire que nous avons tout fait pour l’accompagner le mieux possible et avec tout notre amour, les quelques mois qui ont précédé son décès.

Ne pouvant que très difficilement se lever, elle était toujours très attentive à ce qui se passait en France et dans le monde en suivant les informations bien sûr, et en lisant ses 2 journaux: La presse nouvelle magasine et l’humanité.

Et jusqu’au bout, elle nous a fait part de son effroi à voir un peu partout dans le monde et en Europe des partis ou mouvement d’extrême droite gagner des élections. Sans parler de la France ou heureusement, elle n’a pas assisté à l’ignoble succès que les sondeurs semblent attribuer à une horrible petite marionnette fasciste, homophobe, raciste, antisémite et négationniste qui n’a pas hésité à déjeuner avec Le Pen et la fille de Ribbentrop (ministre des affaires étrangères d’Hitler), fille qui le soutient et qui n’a jamais exprimé le moindre regret quant aux activités de son ordure criminelle de père.

Elle me disait très souvent et avec un sérieux de ministre que beaucoup d’entre vous connaissent : « Tu sais, j’ai pas peur pour moi, qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive, mais je crains pour l’avenir de mes petits». Il y a de quoi, et cette peur, cette inquiétude, nous la partageons, et c’est pourquoi nous tentons à notre façon de nous inscrire dans ses pas ainsi que dans ceux de notre papa qui lui aussi nous manque quotidiennement.