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Hommage à Paulette Sarcey: allocution de Laurence Patrice – 3 Novembre 2021

Monsieur le Maire du 20e arrondissement, cher Eric Pliez,

Madame la Présidente de MRJ-MOI, chère Claudie Bassi-Lederman,

Mesdames et Messieurs les Présidentes et présidents d’association,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Chers camarades,

Chère Michèle, cher Claude, au moment d’évoquer le souvenir de votre mère, je veux vous adresser, ainsi qu’à vos proches, les pensées chaleureuses de la Maire de Paris, Anne Hidalgo que je représente ici.

Nous sommes réunis, si nombreux ce matin. Votre famille et vos amis, les camarades et les proches de votre mère. Et je remercie infiniment Eric Pliez, de nous accueillir dans sa mairie de 20e arrondissement.

Je suis particulièrement fière d’avoir proposé au vote du Conseil de Paris la délibération rendant hommage à Paulette Sarcey, et je veux naturellement saluer mon amie Catherine Vieu-Charier qui avait initié ce projet de plaque. Cette délibération a été votée à l’unanimité des Conseillers de Paris comme des élus du 20e arrondissement au préalable, et dans cette formulation que vous avez choisie chère Michèle, cher Claude : Paulette Sarcey, résistante juive, FTP-MOI, déportée à Auschwitz, chevalier de la Légion d’Honneur.

Des mots qui seront désormais gravés, rue Pelleport, sur la façade de l’immeuble où Paulette vécut dans sa jeunesse, réveillant certainement le souvenir des plus anciens habitants du quartier, et s’offrant surtout à la curiosité des plus récents, interpellant je l’espère les passantes et des passants. Notre rendez-vous ici ce matin est d’abord un temps d’hommage que nous avons attendu du fait de la situation sanitaire, et qui nous fait à toutes et tous chaud au cœur.

C’est aussi l’occasion tous ensemble d’exprimer notre immense reconnaissance à Paulette, et je dirais aussi, notre gratitude, et à travers nous, celles des Parisiennes et des Parisiens, pour son action de femme résistante, pour son parcours de militante, cette vie d’engagement qui raconte le cheminement d’une jeune fille confrontée à la déroute de l’humanité de son siècle, et qui de fait, a très tôt décidé de prendre ses responsabilités de citoyenne.

Paula, Paulette, venait d’une famille ouvrière polonaise. Froïm, son père, était un ouvrier du cuir, militant syndicaliste et communiste, et Jenta (prononcer Yenta) sa maman travaillait elle dans la confection ; ils étaient venus confiants s’installer dans ce Paris qui a accueilli tant de familles d’Europe de l’Est. Des femmes, des hommes, des enfants qui ont dû ainsi trouver l’énergie de s’exiler, le courage de s’improviser un avenir, en fuyant les pogroms, l’antisémitisme de leur pays d’origine. On sait l’espoir que représentait pour ces familles notre ville, combien elles et ils croyaient à tous les possibles d’une vie nouvelle, en sécurité, dans la capitale des lumières, celle des Droits de l’Homme.

Comme l’a dit si bien Simone Veil, je cite : «des immigrés qui avaient confiance en la France comme en leur terre d’asile».

Et la jeune Paulette y a cru bien-sûr, dans le tourbillon d’une jeunesse joyeuse, elle fleurit dans le quartier de Belleville. Le foulard rouge noué autour du cou, elle participe aux fêtes de la Bellevilloise, et vend avec d’autres le dimanche au métro Belleville le journal Mon Camarade, à côté de son père qui lui vendait la Naïe Presse, concoctée au 14 rue de Paradis, dans le 10e qui m’est cher. Un lieu mythique qui reste aujourd’hui encore grâce à beaucoup d’entre vous ici, le cœur toujours battant de la mémoire des MOI et de l’UJRE… La jeune fille, encore une gamine, n’est aussi pas en reste pour aller manifester, pour s’engager, et comme tous les jeunes progressistes, elle est bien entendu un soutien, enthousiaste et solidaire de l’Espagne républicaine.

Pour autant en Europe, elle sent les vents sournois s’insinuer, puis de plus en plus vifs et glacials ils se rapprochent, vents de haine, de violences antisémites des fascismes qui essaiment leur fiel mortel de par l’Europe.

L’espoir de la République espagnole sombre dans la guerre civile sous les coups des franquistes, l’Italie se donne à Mussolini, et la République de Weimar se suicide en appelant Adolf Hitler à la chancellerie scellant ainsi le destin mortifère de l’Europe pour longtemps, ouvrant la voie au pire génocide de tous les temps.

Pourtant, quand la France tombe à son tour, que surviennent la stupeur de la défaite et l’abomination de la collaboration, Paulette ne perd ni son aplomb ni ses convictions, elle ne reconnaît pas le pouvoir de Vichy. Et elle refuse, comme quelques-uns, cela a été dit, de porter l’étoile jaune. Imaginons la force de caractère, le courage de cette fille de tout juste 16 ans qui entre alors dans la Résistance avec les autres jeunes communistes de la MOI, avec Henri Krasucki, avec Robert Endewelt, avec Roger Trugnan… Oui elle a 16 ans seulement quand sous le nom de « Martine », elle incarne un des visages d’une résistance déterminée.

Et à cette étape j’en profite pour redire combien les femmes, quels que soient les courants de la Résistance furent nombreuses et essentielles à s’y engager, mais aussi combien beaucoup, dès la libération, furent reléguées dans l’ombre.

Cécile Rol Tanguy l’a bien souvent rappelé dans ses itw, ses témoignages, elle considérait que beaucoup de ses camarades femmes résistantes avaient été mal traitées et bien peu honorées dans la France d’après-guerre.

Revenons donc à cette grande résistante que fut Paulette Sarcey. Vichy n’a de cesse bien-sûr de traquer ces jeunes communistes rebelles pour les briser. Ces autorités vendues aux nazis organisent alors des filatures minutieuses, espionnent les mouvements des jeunes gens. Et la police de Vichy arrive à ses fins mettant la main sur le collectif. Paulette est arrêtée le 23 mars 1943.

Interrogée, torturée, elle est conduite le 18 mai à Drancy avant d’être déportée à Auschwitz par le convoi 55 du 23 juin 1943.

Dans ces conditions si terribles, si extrêmes, après Drancy, après le supplice du convoi dans les wagons à bestiaux, à Auschwitz, condamnée à la faim, au froid, aux violences, aux maladies, Paulette Sarcey compte parmi les « chanceuses » mot horrible s’il en est, mais qui dit pourtant le sort de celles qui ont échappé au triage à l’arrivée du camps, à la mort immédiate dans les chambres à gaz.

Là, Paulette a encore résisté, rejoignant la résistance intérieure du camp, aux côtés notamment de Marie-Claude Vaillant. Puis ce fut encore l’errance sur les routes terrifiantes et glaciales de Pologne et d’Allemagne, après l’évacuation du camp. Paulette survivra aux Marches de la Mort avant d’être libérée le 2 mai 1945.

Cette histoire, elle la raconte dans Paula, survivre obstinément.

«À mon retour d’Auschwitz, le 22 mai 1945, j’ai eu la chance inouïe de retrouver à Paris ma famille miraculeusement épargnée. Je n’ai ni oublié, ni pardonné et j’ai tenu parole: j’avais promis à mes camarades de déportation de tout raconter. Aujourd’hui, souvent inquiète pour l’avenir, je suis heureuse que mon histoire puisse être lue par tous.»

C’est ainsi qu’elle introduit la publication de son témoignage.

Effectivement le 22 mai, elle est de retour à Paris. Ils ne sont que six survivants sur les 57 personnes qui ont été arrêtées avec elle.

Sans répit, elle va d’emblée retrouver, rue Julien Lacroix, les Jeunesses communistes et elle intègre la section des jeunes de l’UJRE, comme tu nous l’as dit, chère Claudie.

Reprenant à la fois ses activités militantes et sa vie de camarade communiste, Paulette veut aussi honorer tout de suite ce serment fait à ses camarades de déportation «de tout raconter».

Alors Paulette s’investit sans attendre et avec force dans les organisations d’anciens résistants et déportés, elle multiplie les témoignages et les entretiens. Il fallait mettre des mots sur l’innommable, cet univers concentrationnaire ou, comme le disait Charlotte Delbo, «La lumière de mort décomposait la vie»

Elle consacre le reste de son existence, sans relâche, à témoigner de la vie, de la mort dans les camps, de la Résistance et des engagements de sa jeunesse.

Dire, transmettre, rappeler à toutes et tous, faire savoir, faire connaître aux plus jeunes, l’histoire de la Shoah et celle du combat contre tous les fascismes.

«Il faut rester ensemble pour être forts. Pour survivre. Pour que quelqu’un sorte raconter

Disait-elle

Nous découvrons à travers Paulette Sarcey une héroïne humble : elle a toujours associé ses soeurs et frères d’armes à son engagement. Car plus que les faits, plus que l’histoire, Paulette a voulu faire entendre et transmettre des valeurs :

  • L’importance de l’éducation populaire, et du partage des savoirs pour être plus forts, plus éclairés,

  • La nécessité absolue de la solidarité, de la fraternité des peuples et la vigilance nécessaire pour que l’union des coeurs et des volontés servent toujours le bien commun.

La République l’a ainsi honorée de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de la Croix de guerre. Elle qui a toujours défendu justement les valeurs de cette République.

Un idéal de liberté d’égalité de fraternité réel.

Aussi par-delà notre hommage aujourd’hui, par-delà cette plaque qui garde trace et mémoire de son parcours, nous devons d’abord à Paulette de continuer, de prendre le relai bien-sûr de la transmission, mais aussi de son courage et de son audace au combat…

Et chers amis, on le voit, on l’entend, il y a bien matière à combattre aujourd’hui.

On a déjà depuis plusieurs années vu ressurgir des actes, des insultes antisémites, des dégradations de sépultures.

Puis ce sont des hommes et des femmes, en France, au 21e siècle qui ont été torturés et assassinés parce qu’ils ou elles étaient juifs en France… je ne redirai pas la litanie de ces victimes, je rappellerai juste aujourd’hui le souvenir de Mireille Knoll, alors que se tient le procès de ses assassins en ce moment, eux qui étaient les voisins de cette femme dont la douceur, la générosité tranquille était bien connu depuis des décennies dans son quartier du 11e non loin d’ici.

Combien de morts encore à venir dans ce pays ? La France où en 2021, on s’autorise sans complexe à sonder les gens pour savoir ce qu’ils pensent des juifs…

Et où, ainsi, on donne écho à l’expression de celles et ceux qui pensent qu’il y a trop de juifs influents !

Un glissement terrifiant ici de la banalisation dans les médias d’obscurs relents antisémites et négationnistes, où on laisse antenne ouverte à un homme condamné pour racisme et antisémitisme, un homme qui se vomit lui-même, en vomissant sur la repentance de la France, au nom d’une prétendue grandeur il nie le rôle de Vichy, insultant aussi bien les victimes de la Shoah, la Résistance constituée justement de tant d’hommes et femmes d’origine étrangère, unis pour défendre les valeurs démocratiques et républicaines . Et comme si cela ne suffisait pas, insultant les familles et victimes du terrorisme islamiste aujourd’hui… Ces propos de haine, cette volonté d’opposer les habitants de notre pays entre eux, de stigmatiser les unes et les autres du fait de leur religion, origine, genre et orientation sexuelle, n’est rien d’autre que le noyau d’une idéologie fasciste… laisser dire, laisser banaliser ces mots et ces idées c’est faire insulte à la mémoire de celles et ceux qui sont morts au combat contre tous les fascismes, morts dans les camps nazis, et c’est faire insulte au message, au travail de tous les grands témoins, comme le fut Paulette.

Chers amis,

Oui Paulette Sarcey fut de ces femmes et de ces hommes qui se lèvent quand tout bascule, quand la République, la liberté sont en danger car elles et ils croyaient possible et essentiel d’oeuvrer pour un monde meilleur, un monde de justice sociale, de paix et de fraternité.

Sa vie entière en est la preuve, Paulette a agi et témoigné pour nous montrer, en toute humilité, mais avec constance et détermination, qu’il était toujours possible d’inverser le cours de l’histoire…

Il nous revient maintenant de ne pas la décevoir

Il nous revient dans ces semaines même, l’impérieux devoir, d’être dignes ensemble de cette leçon de courage, de générosité et de dignité que Paulette nous a laissé.

Je vous remercie.