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Hommage à Paulette Sarcey: Allocution de Claudie Bassi Lederman – 3 Novembre 2021

Madame Laurence Patrice, adjointe à la Maire de Paris, chargée de la mémoire et du monde combattant,

Monsieur Eric Pliez, maire du 20e arrondissement de Paris,

Mesdames et Messieurs les élus,

Chers amis,

Chers Michou et Claude,

Chers petits enfants et arrière-petits enfants que Paulette aimait tant et dont elle était si fière. Nous vous avons vu naître pour certains et nous vous avons tous suivis au cours des années, sur les photos qu’elle était si heureuse de nous montrer.

J’interviens ce matin pour parler de la grande dame qui nous aimait, que nous aimions, que nous aimons et avec qui nous avons tellement ri et tant appris.

J’interviens au nom de l’UJRE et de MRJ-MOI, ces organisations auxquelles Paulette était viscéralement attachée:

  • l’UJRE qui a uni, durant l’Occupation, toutes les organisations résistantes de la section juive de la MOI parmi lesquelles l’Union des Jeunes Communistes Juifs dont Paulette a fait partie avec ses amis dès 1940,

  • et MRJ-MOI, créée en 2005 pour faire connaître, avec son musée virtuel, une histoire occultée, celle de la participation des juifs immigrés à la Libération de la France, celle de l’engagement communiste dont la spécificité juive est restée longtemps ignorée. Paulette fut l’une des premières à parrainer notre association et elle attendait avec une très grande impatience la mise en ligne de notre musée.

Nous savons tous quelle héroïque résistante elle a été mais, ne pouvant parler d’elle aussi longtemps que nous l’aurions désiré, nous nous sommes limités à quelques moments partagés avec elle, souvenirs précieux pour nous:

Paulette et le 14 rue de Paradis, “le 14”, comme nous l’appelons.

En ce lieu symbolique de son histoire, Paulette, membre des bureaux de l’UJRE et de MRJ-MOI arrivait toujours aux réunions pleine d’énergie, souriante et très élégante. Elle a toujours été très élégante et vers la fin de sa vie, alors qu’elle ne sortait plus de chez elle, elle soignait sa mise, même en robe de chambre, et faisait venir le coiffeur à son domicile.

En attendant le début des réunions, Paulette parlait avec chacun mais s’impatientait : tant de «tâches essentielles» nous attendaient. Il n’y a pas si longtemps, elle présidait une AG de l’UJRE avec sérieux et fermeté mais toujours avec humour, sachant souvent aplanir les conflits, ne taisant jamais les divergences, les heurts, ne cédant jamais sur ses valeurs et convictions.

Quand elle ne se déplaça plus, nous nous sommes réunis chez elle où Victoria, la “commandante” comme elle l’appelait, sa nounou –dame de compagnie moldave–, nous préparait systématiquement d’énormes piles de crêpes. Depuis le départ de Paulette, “le 14” n’est plus le même pour nombre d’entre nous.

Paulette et la préparation du diaporama du 70e anniversaire de l’UJRE en 2013.

Paulette se déplaçait à l’époque sans problème mais il nous était plus facile –nous étions nombreux– de travailler plusieurs fois par semaine, des semaines durant sur la grande table de sa cuisine où nous étalions des centaines de photos que Paulette commentait sans hésitation –beaucoup d’entre elles lui appartenaient. Aujourd’hui, il nous revient en mémoire, parmi beaucoup d’autres témoignages d’une vie : Paulette, à 7 ans, en maillot de bain, à l’île de Ré, dans une colonie du Secours Rouge. Paulette, à 13 ans, à Berck-Plage, avec Roger Trugnan et Germaine, la petite sœur de ce dernier. Paulette, à son arrivée à Auschwitz (carte d’immatriculation).

Elle nous a longuement raconté la Résistance dans le camp d’extermination. Paulette, à la Libération, dans le film de l’UJRE, “Nous continuons“. Ou encore, Paulette, travailleuse sociale à la CCE, la Commission Centrale de l’Enfance, pour “faire rire” les enfants de déportés et fusillés.

Toute l’histoire des nôtres, les juifs communistes immigrés, a défilé dans cette cuisine si chaleureuse.

Le tournage de notre film “Nous étions des combattants.

Les souvenirs de Paulette étaient d’une grande précision, elle avait une excellente mémoire. Et ceux qui l’ont vue dans “Cité de la Muette”, le premier film sur le camp de Drancy (souvent présenté par Tanguy Peron) et tourné par Jean-Patrick Lebel en 1986 ainsi que dans notre film réalisé 30 ans plus tard par Pierre Chassagnieux et Pauline Richard, ne peuvent aucunement dater les témoignages de Paulette ni penser que tant d’années séparent ces récits.

Nous avons passé de longs moments avec Paulette, l’interviewant, l’écoutant. Elle nous faisait si bien vivre, toujours avec sobriété et modestie, les combats clandestins, la déportation, les tragédies quotidiennes, la Résistance dans le camp et la nécessité de vivre pour témoigner, vivre pour témoigner, toujours la nécessité de la transmission. Pour elle, transmettre la connaissance, faire vivre les mémoires, commémorer le passé, servait à écrire l’avenir. Un avenir qui l’inquiétait.

Notre film a obtenu un succès bien mérité auprès de publics très divers, mais ce qui réjouissait Paulette, c’étaient les questions des lycéens sur l’engagement, sur le sens de l’engagement à notre époque. Ces réactions lui donnaient confiance en la jeunesse.

Travailler avec elle, militer avec elle nous a tous fait progresser humainement, intellectuellement, et sur le plan politique. Intelligence, sensibilité, tendresse pour ses amis, sens du collectif, telle était Paulette. Et le rire, celui de sa jeunesse, même à Auschwitz, ce rire qu’elle nous a transmis et que nous entendons encore.

La légion d’honneur de Robert Endewelt.

Notre association a mené un très long combat, plus de deux ans, avec Julien Lauprêtre, pour l’attribution de la Légion d’Honneur à Robert. Cette Légion d’Honneur, Robert tenait absolument à ce que sa grande amie Paulette Sarcey la lui épingle. “Je tenais à ce que ce soit elle qui me remette cet insigne. Je la considère en effet comme une des grandes figures de notre mouvement de Résistance et une solide amitié nous lie par ce passé commun“.

Paulette, ne pouvant se déplacer, la cérémonie a eu lieu chez elle en présence de quelques-uns d’entre nous. Ce moment, ô combien émouvant, a été filmé, et le jour de la fête, en l’honneur de Robert, nous l’avons projeté au “14”.

Quelques moments plus intimes.

Nous ne pouvons taire les nombreuses séances de ragots au cours desquelles nous avons tant ri. Chez Paulette ou le soir au téléphone, la séance commençait par ” allez, maintenant, on ragote”. Et tout y passait, quelquefois, à la limite de la décence mais jamais méchant, toujours si drôle et ça faisait tant de bien.

Nous nous rappelons aussi les quelques jours qu’elle avait passés un été dans une institution du XVIe arrondissement. Michou et Claude, vous n’aviez pas voulu la laisser seule à Paris. “Ces bonnes femmes“, nous a-t-elle dit, ne lisaient que le Figaro, je ne pouvais parler avec personne de l’Huma et, surtout, c’était impossible de rire avec elles. Alors, je suis rentrée chez moi“. Les descriptions hilarantes de son séjour nous amusent encore.

Nous trahirions notre grande amie si, avant de nous séparer, nous n’évoquions pas ses grands amours, Robert et Max.

Robert, son petit frère, son Robigniou qu’elle avait caché durant l’Occupation dans la Sarthe, avec Lili, la petite sœur d’Henri Krasucki. Robert qui ressemblait tant physiquement à leur père. C’est flagrant sur les photos et elle en était heureuse. Robert qui a beaucoup aidé nos associations.

Et Max, je cite Paulette: “Max, le frère, l’ami, le mari, l’amant, le père, le grand-père si merveilleux…”. Et nous ajoutons aussi : un très grand résistant.

Pour conclure cette brève évocation, nous désirons vous citer trois extraits des très nombreux témoignages que nous avons reçus lorsque nous avons annoncé la mort de Paulette.

Malgré les années, elle continuait à être à mes yeux, à sa manière unique, la même jeune résistante de ce groupe des ” jeunes Juifs de la MOI” que nous admirons tous“;

Je suis très, très touchée par sa disparition. C’était… un Mensh, pas seulement debout mais droite“.;

Nous l’admirions pour ce qu’elle avait fait. Nous l’aimions pour ce qu’elle était“.